RENCONTRE : Jonathan Trullard pour « Arrête ton cinéma »

C’est toujours un peu par hasard et souvent on ne sait comment que l’on découvre des projets originaux et qualitatifs sur le Net. Les méandres des recherches Google et autres posts Facebook nous ouvrent nos univers culturels et artistiques. Je voudrais ici vous faire découvrir le travail documentaire et cinématographique de Jonathan Trullard pour son projet Arrête ton cinéma!.

Arrête ton cinéma! est tout autant une série documentaire sur le cinéma et la société que sur nous, jeunes cinéastes au travail, dans notre tentative de fabrication de cinéma. Je viens d’un milieu qui n’a jamais accordé d’attention à l’art. Je me suis intéressé par moi-même au cinéma, avant de le redécouvrir lors de mes études et d’intégrer un milieu où la culture est au centre de toutes les préoccupations. Les visions parfois tranchées et stéréotypées auxquelles je me suis personnellement confronté sont à l’origine de cette série. J’ai envie de jouer avec elles dans mes entretiens. Je pars d’une démarche militante : en tant que cinéphile, je veux montrer le cinéma comme faisant partie intégrante du quotidien de tous, par les références, les pratiques, les attentes ou les analyses que chacun peut avoir à son sujet. Vouloir être cinéaste m’a longtemps enfermé dans une image oisive et velléitaire. « Arrête ton cinéma Spielberg! » se moquait-on, lorsque je disais vouloir faire mon cinéma. Aujourd’hui la fameuse expression est devenue le titre de ma série: je la renvoie à tous ceux qui s’imaginent que le septième art est uniquement celui des grands moyens et des starlettes, à tous ceux qui peuvent voir dans le rêve de faire du cinéma des velléités ridicules. J’ai envie de déconstruire ces visions en impliquant le spectateur dans ma tentative de cinéma. En l’intégrant à ma bande, je lui montre le septième art dans sa réalité la plus commune: loin des paillettes et des tapis rouges.

Le ton de Jonathan et la réalisation proposée dans Arrête ton cinéma! interpelle car on sent une approche cinéma, une volonté d’en découdre avec une thématique et, en même temps, un regard presque naïf du protagoniste : Jonathan Trullard. A l’évocation de ce nom, je reçois directement un message de mon ami marseillais Mr Nude… il semblerait que la monteuse du projet (une certaine Emilie) en question soit sa « super pote ». Le monde connecté est décidément petit. Jonathan n’est donc pas seul dans cette aventure.

Je suis derrière ce projet, débuté en février 2012 lors d’un stage dans une télévision participative locale pour ma Licence de cinéma (à Aix-en-Provence). Bien évidemment, le projet a beaucoup évolué, les idées me sont venues petit à petit, je me suis cherché pendant 15 épisodes finalement. Aujourd’hui, j’ai une idée précise de ce qu’est ATC et j’aimerais transformé cette série en véritable projet financé et diffusé. Concernant le mode de réalisation, j’écris assez précisément la trame de chaque épisode à l’avance, mais toute l’idée du projet est de reposer sur une totale spontanéité dans mes rencontres (pour cela, le dispositif est très léger, sans perche notamment -cela serait selon moi un frein à cette spontanéité). Je fais beaucoup d’essais avec les cadreurs, pour qu’il affine le style de filmage voulu: aller chercher tout ce qui reflète la personnalité des gens (les pieds qui tremblent chez les uns, les mains qui se serrent chez les autres, etc). C’est un filmage subjectif, qui laisse place au regard de chaque cadreur. Le preneur de son, quant à lui, est maintenant constamment relié à moi par un immense câble, renforçant le côté « pieds nickelés » de notre bande. Enfin, je tiens à m’occuper du montage des parties documentaires des épisodes, le montage étant très personnel, je n’arrive pas à le déléguer, malgré toute ma gaucherie technique.

Jonathan se met en scène… un peu comme moi. Moi je suis seul, lui est accompagné. Le mode de réalisation est différent mais pourquoi se mettre en scène ? C’est régulièrement une question que je reçois et je réponds inlassablement depuis 10 ans que ma technique de réalisation vient d’un artiste new-yorkais, Nelson Sullivan.

Ma démarche est ultra-subjective, il s’agit de mon histoire, de mon cinéma que je ne veux pas arrêter et que je tente de faire avec ma petite équipe. Nous sommes un fil conducteur pour le spectateur. On nous retrouve ainsi avec nos problématiques dans nos rencontres, nos ambiguïtés amoureuses ou nos désaccords par exemple. Je joue au naïf lors de mes errances, jʼuse dʼun ton volontairement candide, paraissant parfois burlesque ou impertinent. Mon approche est sociologique car en parlant de cinéma je parle de la vie et mes errances constituent ainsi une mosaîque de la société, vue à travers ma passion. Chaque épisode débute par un film que je regarde et qui soulève une question sur le cinéma. Le septième art sʼinterroge donc sur lui-même et je vais tenter par mes errances de trouver les réponses à ces questions.

Figurez-vous que Jonathan promène aussi sa petite caméra sur la Croisette (voir la vidéo en tête d’article). Nous ne nous sommes pas vus lors de son tournage. C’est dommage car cela m’aurait plu de discuter avec lui.

Effectivement, c’est dommage que l’on ne se soit pas rencontré à Cannes mais ce sera pour l’an prochain j’espère! Cet épisode, tourné au festival de Cannes, est peut-être le plus représentatif du questionnement que j’exprime par ma série: Comment faire du cinéma aujourd’hui lorsqu’on est jeune et indépendant ? Mon travail relève d’une démarche documentaire : il s’agit de réaliser un portrait de la société par le prisme du 7è art, par une approche sociologique et avec un ton bien particulier, reposant sur les stéréotypes que les uns et les autres peuvent avoir sur le cinéma, ma passion. La série a pour ambition de parler de la place qu’occupe le 7ème art dans la vie de chacun. Chaque numéro est une errance autour d’une problématique-titre sur le cinéma, une recherche de réponse qui serait collective: le micro est tendu, selon une démarche égalitaire, autant aux spectateurs/habitants (cinéphiles ou pas), qu’aux professionnels locaux (exploitants, responsables d’associations, etc) et personnalités du monde du cinéma. L’enjeu est de partir d’idées reçues, celles auxquelles j’ai pu me confronter par exemple, pour les étudier et en révéler les fondements et les limites. Et si j’insiste autant sur la nécessité du micro-trottoir, c’est parce que je suis persuadé que tous les avis sont au final éclairants. A travers ces errances, c’est la passion du cinéma que je veux filmer. C’est l’idée de faire son cinéma dont il est question. L’amateurisme y est assumé, c’est un parti-pris artistique; il est question d’un cinéma artisanal fait avec candeur. Je cherche à filmer un entrain, celui que me donne ma volonté de faire mon cinéma, coûte que coûte. Je propose une série d’errances et de rencontres, j’ai comme ambition de capter ces rencontres et ce qu’elles révèlent de la vie. Ma recherche, de prime abord cinéphilique, n’est finalement qu’un prétexte pour filmer l’existence. Des errances sur les chemins du cinéma que je souhaite suivre tel un « artisan »: en me tenant à distance des conventions pour mieux jouer avec elles.

jonathan-Trullard Lorsque j’ai découvert Arrête ton cinéma!, la première question qui m’est venue à l’esprit est le financement. Il y a des moyens derrières tout ça !?

Nous ne nous finançons pas, c’est bien là le problème. A titre d’exemple, l’épisode de Cannes a peut être coûté en tout et pour tout 400€… pour 38 minutes! Et avec un tel budget, nous sommes arrivés – je crois – aux dernières limites acceptables en termes de qualité de travail. Je suis au RSA et je suis retourné vivre chez mes parents il y a un an, j’ai continué ce projet ces derniers mois sans un sou, littéralement. Et à part donner 20€ symbolique de temps en temps à l’équipe pour les remercier, personnes n’est payé. Ce projet est donc aujourd’hui en phase de mourrir, par manque d’argent (je fais actuellement mon dernier montage, il ne reste donc plus qu’un épisode).

Et si le modèle économique devenait le même que le mien : le rien ! Le rien permet de durer car la production n’est orchestrée que par la volonté et la volonté peut durer infiniment à l’opposé de la présence d’un sponsor temporaire. Arrête ton cinéma! pourrait devenir une sorte de carte de visite, un modèle économique qui apporte les autres contrats… rentables.

Aujourd’hui j’aimerais que ce projet devienne une véritable « proposition de cinéma » reconnue comme telle, et donc qu’il soit financé (produit) et surtout vu par le plus grand nombre. En bref: trouver les moyens de continuer de manière décente ce projet. Je ne peux plus continuer seul sans argent, à cause de l’épuisement et de la solitude dans lequel cela m’a mis (plus d’argent, plus de temps). Et j’espère que s’il y a un jour une diffusion télé, celle-ci n’entravera pas l’idée que j’ai de ce projet (ne le formatera pas trop). Je suis actuellement en contact, via un producteur parisien, avec deux chaînes tv mais j’attends des nouvelles depuis des mois maintenant.

Et si Arrête ton cinéma! n’était qu’une psychanalyse pour son auteur ? Une sorte de claque qu’il s’inflige pour lui donner le courage d’aller au bout de son rêve : faire du cinéma.

Je cherche en fait à combattre une certaine forme d’intimidation, celle qui serait de faire croire que le cinéma n’est pas pour nous et par conséquent celle qui ferait croire que désirer faire du cinéma est le propre de glandeurs rêveurs et prétentieux. Je cherche donc à montrer que tout peut être accessible justement à qui porte ses rêves au plus haut. L’expression « Arrête ton cinéma! » doit donc être renvoyée à l’expéditeur en quelques sortes.

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