Après 3 sélections officielles – « My Joy » (2010), « Dans la brume » (2012 – prix de la Fipresci) et « Une femme douce » (2017) -, le réalisateur Ukrainien Sergei Loznitsa revient à Cannes, dans la sélection Un Certain regard pour présenter Donbass, un film dont le tournage a démarré en janvier 2018 !

Je suis invité à rencontrer le réalisateur sur une terrasse du Palais des Festivals à Cannes. C’est une table ronde, il y plusieurs journalistes de différents pays. Sergei Loznitsa s’assied avec sa traductrice et regarde nos smartphones posés devant lui pour enregistrer ses paroles : « Il est vraiment facile aujourd’hui d’utiliser ce genre de gadgets, d’enregistrer tout ce que vous désirez et de l’uploader sur Internet. »

Il mis ensemble cet intérêt pour cette nouvelle manière de diffuser de l’information avec son intérêt pour les conflits qui se déroulaient dans son pays pour composer Donbass.
Le résultat donne une film étonnant : une sorte de succession de saynètes grinçantes sur une guerre hybride qui mêle conflit armé ouvert et saccages perpétrés par des gangs dans le Donbass, à l’Est de l’Ukraine.

Le réalisateur se place entre le documentaire et la fiction : « J’ai toujours été intéressé par la relation entre la fiction et le documentaire et sur la question de ‘comment réaliser un film de fiction aussi réaliste qu’un documentaire?’. Donner l’impression d’authenticité m’intéresse fortement. »

Et c’est vrai que les scènes sont authentiques à plus d’un point. D’abord parce qu’elles sont la traduction (pour certaines quasi-identiques) de vidéos trouvées sur le web et montrant les exactions que l’on voit dans le film, notamment la scène du mariage (incroyable scène fellinienne) et celle du lynchage qui fut une merveilleuse expérimentation pour le réalisateur : « Il y avait de vrais acteurs et des non-acteurs. Les acteurs devaient donner le chemin aux non-professionnels qui eux jouaient la scène selon leurs émotions. Parfois je devais intervenir pour calmer les esprits. »

Le film n’a pas de parti pris, ce n’est pas une propagande, « car une propagande n’engagerait pas le public à réfléchir. Mon but est de faire réfléchir les gens. C’est pourquoi je ne donne pas de position, de jugement.
Néanmoins, je suis toujours du côté des victimes, des faibles. Et dans ce cas précis, je suis du côté des Ukrainiens car ce sont eux les victimes. Ils ne font que se défendre. »

Donbass désarçonne par le fait que l’on ne suive pas un protagoniste, par la réalisation également qui parfois ressemble à un documentaire, parfois à une séquence de NEWS TV. De temps-en-temps, la caméra est en mouvement avec un cadre à l’épaule qui suit les personnages au plus près et à d’autres moments, en un plan séquence contemplatif qui assoit le cadre et se laisse regarder tel quel.

Je suis sorti de la salle de projection très mitigé mais je ne parviens pas à me défaire de ce film. Donbass fait réfléchir tant par son contenu que par sa forme et c’est peut-être ça qui confirme la qualité d’un réalisateur et que j’ai vu un chef d’œuvre, en fait !

Au terme de notre discussion, Sergei Loznitsa nous avoue qu’il aimerait faire une comédie. Donbass en est une en quelque sorte mais très sombre et très sarcastique. Nous le retrouverons peut-être bientôt avec une vraie comédie légère… Il en a tout le talent.

Fiche Technique
Titre : Donbass
Réalisateur : Sergei Loznitsa
Avec : Boris Kamorzin, Valeriu Andriutã, Tamara Yatsenko
Pays d’origine : Allemagne, France, Ukraine, Pays-Bas, Roumanie
Date de sortie : 05/09/2018 (France) – 19/09/2018 (Belgique)
Genre : Drame
Durée : 2h01
Sélection : Un Certain Regard – Festival de Cannes 2018