RENCONTRE : Denis Meyers (Remember Souvenir)

Dans le cadre de mes productions CAVIAR, je vous invite à découvrir le reportage que nous avons réalisé sur l’artiste Denis Meyers à l’occasion de son travail Remember Souvenir.

En 2016, l’artiste Denis Meyers a pris possession du bâtiment Solvay au cœur de la commune d’Ixelles (Bruxelles). Avec la complicité des actuels propriétaires des lieux, les sociétés IMMOBEL et BPI, le graffeur et peintre belge a investi les 50.000 mètres carrés dans l’idée d’en faire une œuvre totale, gigantesque, imposante…

Je connaissais les bâtiments Solvay depuis très longtemps, depuis que je suis arrivé à Bruxelles dans les années 2000. J’ai habité pendant plus de 10 ans vraiment près d’ici, à moins de 150 mètres. Quand j’ai appris que le bâtiment allait être détruit, ça a été une sorte de déclic dans ma tête en me disant « voilà peut-être l’occasion que tu attendais depuis des années pour faire un projet un peu plus conséquent, un peu plus intéressant et un peu plus narratif que les travaux que je faisais régulièrement en tant que graphiste, en tant que peintre ».

Je voulais une espèce de changement dans la lecture des travaux que je faisais notamment en termes de fresques. J’en avais marre de ce côté frontal et lecture directe. J’avais vraiment envie d’avoir un projet où je pouvais travailler sur la longueur, sur plusieurs mois, et de pouvoir intervenir sur des pièces successives, sur une narration, sur un parcours, sur une histoire.

Ce projet est clairement lié à une blessure, à une séparation, à une souffrance. Après, je crois et j’en suis même persuadé, que c’est ce projet-ci et tout ce qui s’est fait autour qui m’a permis de relever la tête et de récupérer une partie de ce que j’étais il y a un peu plus de deux ans.

Quand je suis arrivé dans ce bâtiment, pour la première fois, fin du mois d’août 2015, pendant 10 à 15 jours, je n’ai fait que me promener. Du matin au soir. Déambuler dans tous les sens. Pour comprendre le bâtiment, voir comment il était articulé, voir comment il avait été construit au fil des décennies.

Sur les murs, il y a différentes choses. Il y a un travail typographique, il y a des verbes à l’infinitif en quantité qui sont une expression de ce que je ressens sur le moment où je le fais. C’est beaucoup d’improvisation, c’est beaucoup de réflexion. Je me plonge au fond de moi-même dans mon cœur, dans ma tête. Je sors ce que j’ai besoin de sortir. Il y a des visages, il y a des silhouettes, il y a des objets. Il y a des textes continus qui viennent pour la plupart de mes carnets de dessins, de 20 ans de carnets de dessins. Les visages qui sont ici et un peu partout dans tout le bâtiment viennent vraiment de mes carnets de dessins : des gens de ma famille, des inconnus, des dj’s, des musiciens, mes enfants, …

Pour que les éventuels visiteurs ou journalistes qui viennent découvrir le projet ne puissent pas comprendre l’intégralité de ce que j’écris parce que ça reste très privé et que je n’ai pas envie de tout livrer non plus, j’ai trouvé des trucs et astuces, des stratagèmes pour que la complexité et l’intégralité du texte ne soient pas compréhensibles totalement.

Je me rends compte de plus en plus depuis qu’il y a les visites que ce projet crée une émotion, crée des souvenirs chez les gens. Il y a des gens qui sortent d’ici en pleurant. Il y a des gens qui m’envoient des messages, 2-3 jours après, en me disant « ça fait 3 jours que je n’ai pas pu sortir un mot ». Il y a des gens qui me contactent une semaine après en me disant « en sortant de votre projet, j’ai eu tout un tas de sentiments qui m’ont envahi, qui m’ont poussé à recontacter des gens avec qui je n’avais plus de contact depuis 15 ans, avec qui j’étais en froid depuis des années ». Donc, ce projet m’a apporté beaucoup de choses. L’art dans sa manière globale et dans la manière dont moi je l’aborde, c’est quand même proposer ou essayer de donner une émotion aux gens. D’une certaine manière, je pense que c’est plus ou moins réussi.

La démolition du bâtiment est inhérente au projet. Je le savais d’entrée de jeu. Je n’aurais jamais pu faire ce projet si le bâtiment n’était pas destiné à être totalement démoli. Ça fait partie du jeu. Je l’ai intégré dès le début. Je l’intègre de plus en plus pour me préparer à devoir quitter ce lieu. J’ai pris goût à ce bâtiment, je le connais par cœur. J’aimerais vraiment être derrière les commandes de ce fameux bulldozer quand il commencera à démolir le bâtiment. C’est important pour moi. Je me doute bien que techniquement ce n’est pas si facile que ça d’utiliser un bulldozer qui doit faire aux alentours de 80 tonnes mais j’ai fait une petite formation avec le mini-bulldozer qui détruit les cloisons. Une autre formation avec un plus gros bulldozer qui remplissait le container des déchets. J’espère que la société m’autorisera à être aux commandes pour le premier coup de pince pour détruire le bâtiment.

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