Mardi 1er juillet, je sors de chez moi au moment où un homme hurle des mots que je ne comprends pas. Je tourne la tête à gauche : deux autres personnes sont appuyées sur un poteau. L’une d’elles est une jeune femme, tellement maigre qu’elle semble disparaître dans ses vêtements.
Je me retourne à droite et j’aperçois un homme qui devait avoir la fin de la quarantaine. Il reste immobile. Un rat s’enfuit à ses pieds. Qui est-il ? Un agent de quartier ? Un policier en civil ? Un type prêt à payer quelques euros pour profiter des « services » de la jeune femme, visiblement droguée ? Je n’en sais rien. Il lui adresse quelques mots quand elle passe à sa hauteur, puis la suit jusqu’au coin de la rue.
Au coin justement, je remarque les « petits bonhommes mauves » — c’est ainsi que les appelle le policier du quartier. Ces gardiens de la paix, engagés par le bourgmestre, sont censés patrouiller et empêcher le trafic de s’étendre. Visiblement, ça ne marche pas. Je dois préciser que ça faisait longtemps que je ne les avais plus vus…
Bienvenue dans mon quotidien. Mais comme je me le répète depuis mon retour à Saint-Josse-ten-Noode : non, ce n’est pas normal. Il faut refuser cette anomalie, ce simulacre de « vivre ensemble ».
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Avant de vous raconter l’aventure de ce jeudi 3 juillet, je dois vous préciser un détail important : depuis cinq mois, le camping-car de mon voisin était stationné devant chez moi, son moteur étant hors d’usage. Il était devenu le lieu de prédilection des toxicomanes pour se cacher, dealer, négocier, se piquer, fumer… Jeudi dernier, ils étaient huit devant ma porte ! Certains se piquaient sous le camping-car, d’autres urinaient dessus, et d’autres encore… déféquaient derrière. Imaginez un instant l’odeur en rentrant chez moi.
J’ai donc demandé — pour ne pas dire exigé — à mon voisin de déplacer son véhicule. Ce fut chose faite lundi dernier : le camping-car a été garé plus loin, au début de la rue. Depuis lors, tout va beaucoup mieux devant chez moi… mais le problème s’est simplement déplacé de sept maisons.
Ce soir, après une agréable soirée au centre-ville avec deux amis, je rentre vers 22h. En arrivant place Saint-Lazare, j’aperçois une bande particulièrement agitée. Le propriétaire de la maison voisine du café Le Petit Paris, là où se trouve maintenant le camping-car, observe la scène depuis sa fenêtre au premier étage.
Arrivé devant chez moi, je traverse la rue et me retrouve nez-à-nez avec trois individus, assis exactement là où, la semaine précédente, l’urine coulait encore. Je leur demande poliment de se lever pour que je puisse rentrer chez moi. À ce moment-là, un quatrième individu arrive, les autres se lèvent. Je parviens à entrer, mais depuis ma fenêtre, je les vois reprendre immédiatement leur « activité » : ils fument leur crack, dissimulés derrière une autre voiture.
J’appelle une fois de plus la police. On me répond, d’un ton aussi las que le mien, qu’une patrouille passera « dès qu’elle sera disponible ».
Petit retour en arrière : il y a quelques semaines, la police nous a contactés pour nous signaler qu’un pigeon était coincé dans notre grenier. Il faut savoir que l’arrière du commissariat se situe littéralement en face de notre maison, et que leurs garages donnent directement dans notre rue. Mon colocataire en a alors profité pour évoquer le problème de drogue dans le quartier. La réponse qu’il a reçue ?
« Mais monsieur, on sait ! Que voulez-vous qu’on fasse ? On les arrête et, trois heures plus tard, ils sont relâchés et reviennent exactement au même endroit… »
Est-ce vraiment la réponse qu’un citoyen attend de sa police ? Est-ce la posture que doivent adopter nos responsables politiques — qu’ils soient communaux, régionaux ou fédéraux — pour garantir l’ordre, la propreté et, surtout, la sécurité des habitants ?
Je ne cherche ni à stigmatiser, ni à désigner des coupables sans nuance. Mais je refuse d’accepter l’inaction et la résignation face à une situation qui empoisonne le quotidien de tout un quartier.
Le problème que je souligne ici ne se limite pas à la commune de Saint-Josse-ten-Noode. Il est général à l’échelle de la Région Bruxelles-Capitale. Mais donc, qu’est-ce qu’on fait pour aider les gens en situation détresse, pour aider les citoyens à retrouver un quartier apaisé, pour mettre fin aux points de deal qui se multiplient notamment autour de la Gare du Nord de Bruxelles, pour enrayer la consommation de drogue ?
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Samedi 6 juillet 2025, une bourrasque de vent a emporté des lingettes souillées (de caca) jusque dans notre jardin. Intrigués, nous avons constaté qu’un·e locataire de la maison arrière jetait régulièrement ses lingettes par la fenêtre de ses toilettes (!). Elles s’accumulent sur l’appui de fenêtre et, au premier coup de vent, elles s’envolent… pour finir chez nous.
Décidés à régler le problème, nous sommes allés frapper à la porte. Un monsieur nous a ouvert et nous a indiqué vivre au rez-de-chaussée. Il nous a ensuite invités à monter aux étages pour rencontrer les occupants concernés. Arrivés à l’étage, nous avons trouvé la locataire responsable, qui s’est immédiatement excusée et nous a invités à entrer.
Derrière cette petite fenêtre, nous avons découvert une réalité glaçante : quatre jeunes enfants, leurs parents et leur grand-mère vivent tous ensemble dans un minuscule deux-pièces délabré. Rien n’est aux normes. Je peux vous assurer que, si un jour, le feu se déclare quelque part dans cette maison, il y aura de nombreux décès. La dame nous confie qu’elle n’a pas d’autre choix. Elle explique que le propriétaire, bien que « gentil », refuse d’entreprendre les moindres travaux. « Comment est-ce possible qu’en Belgique on puisse encore vivre comme ça ? », nous demande-t-elle, désemparée. Elle nous avoue ne rien trouver d’autre.
Ce n’est pas un cas isolé. Il y a quelques mois, j’étais chez son voisin : même constat. Deux familles entassées dans une arrière-maison sombre, chauffées grâce au bec de gaz de la cuisinière, sans fenêtres dans les chambres, avec l’humidité qui suinte le long des murs jusqu’à pourrir les meubles. Parents, enfants, grands-parents : tous survivent dans des conditions indignes.
Un jour, un promoteur immobilier m’a affirmé que ces logements répondaient à un « besoin ». Sans eux, me disait-il, ces familles seraient à la rue. Mais comment peut-on se résigner à une telle réponse ? Comment peut-on accepter que, dans la capitale européenne, des familles vivent encore dans des logements insalubres ?
Ce drame quotidien est confirmé par les chiffres. À Bruxelles, près d’un Bruxellois sur dix vit dans un logement jugé insalubre, présentant des problèmes graves d’humidité, d’isolation ou d’équipement de base. Près d’un tiers des habitants vivent dans un logement surpeuplé, et 26 % des ménages rencontrent des difficultés majeures liées à la précarité énergétique. Plus de 53 000 ménages attendent un logement social, tandis que seulement 7 % du parc immobilier est public.
Ces histoires, ces chiffres, ces visages nous rappellent qu’il ne s’agit pas simplement d’un problème de murs ou de fenêtres : c’est une question de dignité humaine. Il est urgent d’agir pour garantir un logement digne et accessible à chacun·e.