GÉRARD DEPARDIEU : La fin des monstres sacrés du cinéma français

« Gérard Depardieu est probablement le plus grand des acteurs. Le dernier monstre sacré du cinéma. Nous ne pouvons plus rester muets face au lynchage qui s’abat sur lui, face au torrent de haine qui se déverse sur sa personne, sans nuance, dans l’amalgame le plus complet et au mépris d’une présomption d’innocence dont il aurait bénéficié, comme tout un chacun, s’il n’était pas le géant du cinéma qu’il est.« , voici quelques mots de la tribune parue le 25 décembre 2023 dans Le Figaro. (la liste complète des signataires se trouve en bas de cet article)

Cette tribune fait suite à la diffusion, le 7 décembre 2023, d’un reportage dans l’émission « Complément d’enquête » (France 2) à charge sur l’acteur français Gérard Depardieu. Dans l’émission, on y voit des extraits d’un film (jamais sorti) que Yann Moix réalisait sur Gérard Depardieu en Corée du Nord dont la séquence la plus choquante est certainement celle où il sexualise une fillette d’une dizaine d’années par des propos vulgaires et obscènes. Le tournage s’est déroulé en 2018.

Rapidement, les médias du groupe Bolloré ont mis en doute la véracité des faits montrés dans le reportage et, le 17 décembre 2023, sa famille publie une tribune dans Le Journal du Dimanche dans lequel Julie Depardieu prend la défense de son père : Complément d’enquête réalise une véritable mise en scène, procédant par plans de coupe dont on sait qu’ils sont nécessairement suspects puisqu’on peut les monter comme on le veut.

Ces fake news font jusqu’à faire douter le Président Emmanuel Macron qui, sur l’antenne de C à Vous, le 20 décembre 2023, déclare détester les chasses à l’homme, trouver que Gérard Depardieu rend fier la France et se méfie du reportage de France 2 : « Il y a parfois des emballements sur des propos tenus, je me méfie du contexte, j’ai compris qu’il y avait des polémiques (…) sur les mots qui étaient en décalage avec les images. » Il avoue toutefois ne pas avoir vu le reportage de Complément d’Enquête. Cet entretien sur France 4 intervient au lendemain du vote d’une loi, très polémique, sur l’immigration portée par Gérald Darmanin et soutenue par le RN. On apprendra quelques jours plus tard, que lors de la préparation de l’émission, Emmanuel Macron désirait répondre sur ce sujet. Serait-ce une belle tentative de diversion qu’on n’en serait pas étonné !?

Emmanuel Macron désavoue sa Ministre de la Culture et refuse de retirer la légion d’honneur à Gérard Depardieu car « la légion d’honneur est un ordre, dont je suis le Grand Maître, qui n’est pas là pour faire la morale. Et donc, ce n’est pas sur la base d’un reportage ou de telle ou telle chose qu’on enlève la légion d’honneur à un artiste » dit-il. Pourtant, en 2017, lors de l’affaire Weinstein, il s’était déclaré favorable à entamer ue procédure pour retirer la légion d’honneur au producteur américain. (lire l’article de Public Sénat)

Face aux allégations et aux fake news qui ne cessent de prendre de l’ampleur, France Télévisions mandate un huissier de justice afin d’établir si oui ou non il y a eu montage dirigé du tournage en Corée du Nord utilisé dans l’extrait avec la petite fille. Le constat est sans appel : le huissier de justice atteste dans son constat qu’il s’agit d’une seule et même séquence montrant Gérard Depardieu regardant une démonstration équestre. Dans son communiqué, France Télévisions déclare qu’« Il n’y a aucun doute et aucune ambiguïté sur le fait que c’est bien la jeune fille à l’image qui est ciblée par les propos de Gérard Depardieu (…) Le reportage de “Complément d’enquête” sur Gérard Depardieu a été réalisé dans le plus grand respect des règles déontologiques ».

Pour rappel, Gérard Depardieu est dans la tourmente depuis 2020, date à laquelle la comédienne Charlotte Arnould a déposé une plainte pour viol contre l’acteur. Elle témoinge dans le reportage de Complément d’Enquête. Deux autres plaintes ont été déposées depuis par l’actrice Hélène Darras, pour des faits d’agression sexuelle remontant à 2007 et par la journaliste Ruth Baza pour des faits de viol remontant à 2007. Depuis lors, l’actrice Sophie Marceau a déclaré avoir été victime d’attouchements du comédien lors du tournage du film « Police » en 1985. Au total, Libération dénombre 15 femmes à dénoncer des violences sexistes et sexuelles.

En 1978, en entretien pour le magazine américain « Film comment » à l’occasion de la sortie du film « Préparez vos mouchoirs » de Bertrand Blier (co-signataire de la tribune du Figaro), il déclare : « C’est mon pote Jackie – il avait 16 ou 17 ans – qui m’a amené à mon premier viol. (…) La fille, une brune d’une vingtaine d’années, attendait son bus (…) Une chose en amène une autre, et hop ! (…) C’était normal. Après ça, j’ai eu plein de viols, trop pour les compter« . Cet article passe inaperçu mais ressort en 1991 par l’hebdomadaire Time à l’occasion de sa nomination pour l’Oscar du meilleur acteur dans « Cyrano de Bergerac » de Jean-Paul Rappeneau. Et il confirme ses propos. Dans son autobiographie « Vivant ! », paru chez Plon en 2004, il parle d’une double erreur de traduction. La journaliste du Time infirme ces propos dans le reportage de Complément d’Enquête.

Quittons quelques instants les affaires pour revenir au lieu de tournage du film de Yann Moix : la Corée du Nord. Rappelons-nous que celui qui rend fier la France possède un passeport russe offert par son ami Vladimir Poutine en 2013 (voir la vidéo), qu’il est allé faucher du foin et danser avec le dictateur bielorusse Alexandre Loukachenko, en juillet 2015 (voir vidéo).

La publication de la tribune dans Le Figaro a fait couler beaucoup d’encres : les associations féministes sont montées au créneau dénonçant une arrière garde vieillissante (l’âge moyen des signataires ont 69 ans) vivant toujours dans l’image de l’artiste sacré. « Ça m’attriste, je suis atterrée parce que j’ai l’impression qu’il y a une incompréhension : quand j’entends parler de torrent de haine qui se déverse sur Gérard Depardieu, ce n’est pas du tout ça. » a déclaré Emmanuelle Dancourt, présidente de Metoo Media au micro de BFMTV.

Une nouvelle tribune, publiée dans le journal Le Monde, le 27 décembre 2023, rédigée par un collectif emmené par l’association MetooMédias revient sur les propos d’Emmanuel Macron : « Vos propos dans l’émission ‘C à vous’, le 20 décembre, témoignent de votre désintérêt pour la cause (cfr : lutte contre les violences faites aux femmes) et d’une totale ignorance du champ des violences sexistes et sexuelles. (…) Vous auriez pu entrer dans l’histoire comme le président ayant fait durablement avancer la cause des victimes de violences conjugales et de violences sexistes et sexuelles. A contrario, vous avez – par vos mots – validé la culture du viol au plus haut sommet de l’Etat.« 

Ne peut-on donc pas séparer l’artiste de l’homme ? comme le dénonçait Blanche Gardin aux Molières en 2020…

Le fondateur de l’association Les Papillons, qui vient en aide aux enfants victimes de violences, a pris la décision de se séparer de l’acteur Pierre Richard, co-signatiare de la tribune : « Parce que nous sommes et serons toujours du côté des victimes et parce que la tribune de soutien à Gérard Depardieu qu’il a signé est indécente, Pierre Richard n’est plus un des ambassadeurs de l’association Les Papillons. » a-t-il écrit sur son compte Instagram.

Lucie Lucas, quant à elle, dénonce les agissements de l’actrice Victoria Abril, sa mère dans la série Clem (TF1) : “J’ai beaucoup à dire sur certaines personnes de cette liste délicieuse de co-signataires… avec TOUT ce que les jeunes générations de comédiens ont de dossiers sur vous, j’espère que vous êtes prêts pour la retraite parce que ne vous protégera plus !Hein Victoria… tu veux qu’on parle de tes nombreuses agressions y compris sexuelles envers tes partenaires ? À y réfléchir, je ne suis pas surprise que tu aies signé ce torchon… tu flippes toi aussi et à y réfléchir tu as bien raison. Ça suffit le délire.” L’avocat de Victoria Abrilmaître Stéphan Zitzermann a annoncé à Libération, le vendredi 29 décembre2023, qu’il allait porter plainte pour diffamation.

Dans la liste des signataires de la tribune du Figaro, on retrouve également la critique d’art Catherine Millet dont les propos sur le viol ont déjà fait polémiques. En effet, en décembre 2017, sur France Culture, elle déclare « Je regrette beaucoup de ne pas avoir été violée parce que je pourrais témoigner que du viol, on s’en sort.« . En janvier 2018, elle affirme aux micros de Quotidien (TMC) être contre la loi sur les violences sexuelles et le harcèlement de rue proposée par Marlène Schiappa et ajoute avoir « une certaine compassion pour les frotteurs. Quelqu’un qui en est réduit à ça pour trouver une satisfaction sexuelle doit être dans une certaine misère sexuelle.« 

Yvan Attal a expliqué à l’antenne de BFMTV, le jeudi 28 décembre 2023, pourquoi il avait signé la tribune du Figaro : « Je ne veux pas défendre Depardieu l’acteur, mais le citoyen Depardieu. Je n’ai pas signé cette pétition contre les femmes, et c’est là mon malaise. Je l’ai signée pour dire une chose : c’est qu’il y a une tyrannie d’une certaine morale qui se substitue à la justice, une meute qui se permet de lyncher des gens sur la place publique. »

Il y a donc une pointe de regret chez Yvan Attal, ce regret devient une « grave erreur » chez Nadine Trintignant. Elle dit qu’elle ignorait l’auteur de cette tribune : le comédien Yannis Ezziadi, proche de figures d’extrême droite et éditorialiste au magazine conservateur Causeur. Et petit-à-petit, la liste des signataires qui font marche arrière suite aux révélations de l’identité de l’auteur de la tribune du Figaro s’allonge : la réalisatrice Josée Dayan, que l’on voit défendre Gérard Depardieu dans le reportage de Complément d’Enquête déclare sur les réseaux sociaux : « Je regrette d’être associée à l’initiateur de cette tribune dont j’ignorais l’engagement politique et qui s’est présenté comme un acteur voulant défendre Gérard, me donnant simplement son prénom. Je ne le connais pas et je suis très mal à l’aise d’être associée à lui.« 

Charles Berling écrit sur son compte Instagram : « Je combats au quotidien les idées d’extrême droite portées par son auteur, je regrette le manque de nuance et les raccourcis de ce texte et j’entends l’indignation qu’il suscite. (…) Je l’ai signée car, en tant que citoyen, artiste et responsable culturel, je défends la légitimité de la justice contre les effets de horde et de meute et c’est cette haine collective, rendue possible par l’usage massif des réseaux sociaux que j’ai voulu dénoncer. »

Même son de cloche du côté de Pierre Richard et de Patrice Leconte. Carole Bouquet, ancienne compagne de Gérard Depardieu pendant 10 ans, dénonce sur Instagram : « Je ne soutiens pas les idées et valeurs associées au journaliste porteur de cette tribune. Lui donner de la visibilité par l’entremise de Gérard me met, comme vous pouvez l’imaginer, profondément mal à l’aise. » Elle avait pris la défense de son ancien compagnon sur le plateau de Quotidien, le jeudi 21 décembre 2023 : « Gérard est capable d’être grossier et limite, mais il est incapable de faire de mal à une femme. (…) Je connais ses démons et je sais qu’il est incapable de faire violence à une femme. Laissons la justice décider si, oui ou non, il a violé une femme. Moi, je suis certaine que la justice décidera que c’est faux… » > voir la vidéo de son entretien complet.

L’acteur Jacques Weber parle lui, dans Mediapart, d’un « autre viol » en signant cette tribune : « J’ai par réflexe d’amitié signé à la hâte, sans me renseigner, oui j’ai signé en oubliant les victimes et le sort de milliers de femmes dans le monde qui souffrent d’un état de fait trop longtemps admis. (…) Malgré l’amour ou l’admiration que ses amis, sa famille et la famille du cinéma lui portent, nous ne devons pas empêcher la vérité d’éclore. »

D’autres, par contre, assument comme le producteur Dominique Besnehard.

Il aura fallu attendre 5 jours pour voir une contre tribune publiée et signée par… 600 artistes : « Lorsqu’on s’en prend à Depardieu, ce serait à l’art que l’on s’en prendrait ! Comme si Depardieu représentait l’art en France. Comme si le statut d’artiste ou le talent justifiait un traitement singulier. Nous souhaitons avec cette contre-tribune manifester notre désaccord avec cette idée. » En conclusion, les signataires de cette contre-tribune écrivent « Nous sommes là pour rappeler que l’art n’a pas à être fait par des idoles hors de la réalité, l’art n’est pas du côté des caprices de star. L’art refuse de se soumettre à leur système. La production de l’art n’est pas une abstraction située en dehors des dynamiques sociales », développe le texte. « Alors oui, nous allons nous retrouver, nous regrouper, et nous soutenir. Et si cela dérange Depardieu, Macron et 56 “célébrités” de la culture, tant mieux. »

Alors que les signataires de la tribune du Figaro se retirent l’un•e après l’autre (lire plus haut), cette contre tribune est rapidement devenue virale. Le 31 décembre 2023, elle passe la barre de 8.000 signatures !

Le 1er janvier 2024, une nouvelle lettre ouverte de 150 artistes est publiée dans Libération afin de dire qu' »Être artiste ne doit pas nous exonérer de toute responsabilité« . Parmi les signataires de cette lettre, on retrouve Lio, Tristan Lopin, Fauve Hautot, Juliette Arnaud, Muriel Robin et aussi Lucie Lucas.

Liste des 55 signataires de la tribune parue le 25.12.2023 dans Le Figaro :

Benoît Poelvoorde (acteur), Nathalie Baye (actrice), Carole Bouquet (actrice), Jacques Dutronc (chanteur et acteur), Charlotte Rampling (actrice), Nadine Trintignant (réalisatrice et écrivain), Yvan Attal (acteur et réalisateur), Jacques Weber (acteur), Bertrand Blier (réalisateur), Emmanuelle Seigner (actrice), Roberto Alagna (chanteur), Michel Fau (acteur et metteur en scène), Victoria Abril (actrice), Dominique Besnehard (acteur et producteur) Carla Bruni (chanteuse), Pierre Richard (acteur), Clémentine Célarié (actrice), Gérard Darmon (acteur), Rudy Ricciotti (architecte), Christophe Barratier (réalisateur), Arielle Dombasle (chanteuse), Francis Veber (réalisateur), Patrice Leconte (réalisateur), Brigitte Fossey (actrice), Boualem Sansal (écrivain), Charles Berling (acteur), Yannis Ezziadi (acteur et auteur) Philippe Caubère (acteur), Vincent Perez (acteur), Myriam Boyer (actrice), Antoine Duléry (acteur), Afida Turner (chanteuse), Paulo Branco (producteur), Jean-Marie Rouart, de l’Académie française (écrivain), Josée Dayan (réalisatrice), Joël Séria (réalisateur), Bernard Murat (metteur en scène), Serge Toubiana (critique de cinéma et ancien directeur de la Cinémathèque française), Catherine Millet (écrivain), Jacques Henric (écrivain), Stéphanie Murat (réalisatrice), Marie-France Brière (productrice et réalisatrice), Daniel Humair (musicien et peintre), Judith Magre (actrice), David Belugou (décorateur de théâtre), Marie Beltrami (styliste), Tanya Lopert (actrice), Jean-Claude Dreyfus (acteur), Chiara Muti (actrice), Jean-Marie Besset (auteur dramatique), Stéphan Druet (metteur en scène), Christine Boisson (actrice), Karine Silla-Perez (actrice et réalisatrice), Myriam Boisaubert (poète), Lilian Euzéby (artiste peintre), Marion Lahmer (actrice).

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